LE DISPARU DE SAINT-AGIL

Pas sûr que le vieux pensionnat ne soit du décor tas de gravats.
Qu’importe, nous ne le savions pas, mais le peintre vit là-bas,
Exilé dans cette vieille affiche, lui qui gouta pleinement l’urbanité,
S’y est fait une demeure d’où il pourfend le noir demain de l’humanité.

Artiste d’abords de la situation, dépassant la négation de toute action
Croyant à l’art, utile dénonciation, esthétisme plus tard, toiles éraflées
New York, labyrinthes de carton, veines fossiles vues d’un haut, reflets. 
L’art est un sabre, le beau n’est pas le but, juste un moyen de révolution.    

Trois singes n’étant témoins de rien, juste eux, se tairont.
Pour plus de ce confort si sûr, propre aux pouvoirs autoritaires
Acteurs du libre vivre, seront soumis à la chirurgie sécuritaire
Ils deviendront les exorcistes de cette Nature, très contrôlés larrons.

Aimer les grands singes, c’est deviner que ce Dieu est là, une part, en eux.
Ces saccages forestiers, ces oeuvres génocidaires, bégaiements guerriers
Portent les relents de la quête inavouée de cette filiation à l’Eden premier,
Jungles où  ils découvrirent, et se transmirent  les enseignements  heureux.

Toi l’homme, en ta grotte crânienne ou se taire l’instinct reptilien,
Se trouve-t-il l’indicible message gravé sur l’os à la foudre première
Révélant à son usage, la vie insupportable, tant la vérité guerrière
Est le plus simple constat à l’analyse de cette nature privée du Lien ?

La crainte de ne jamais savoir, d’être seulement ces incertains prophètes
Voyageant à la crête des sciences d’un jour, au matin dernier des chamanes
Privés du libre génie d’exister, d’aller, les chefs veulent les clés de cette manne
Afin d’en contrôler les flux, les richesses, l’éventuel partage, les lucres, les fêtes.

Ainsi cette innocence première il leur faut  posséder, la détruire, la contrôler
Derrière de hauts murs, d’étranges manufactures fracturent, trépanent, éviscèrent.
Oiseaux, primates, dotés d’énigmatiques placebos, ceux là dans des cages de verre
Verront le monde, transistorisés aux ordres désormais de l’autre instinct, ce dernier.


Celui, suicidaire, intime pulsion, cumul de tous les renoncements et abandons
Perte des convictions, mutations perverses du bien commun de cette humanité.
Se trouve-t-il en nos gènes comme solution native, cet Apocalypse  tant cité,
Dont elle porte le vaste plan, comme le collectif destin  dont elle creuse le sillon.

Alors, garant, veilleur, héritier transhumant au gré des temps de  l’histoire,
L’homme en ses élites se plut à croire qu’il possédait ce prodigieux génie.
De l’atome de Platon, du Divin matériel, l’élémentaire et complexe infini,
Il s’en empare faisant de son danger le chantage exquis du ‘sans quoi le noir’.

Usines dépotoirs sous vent d’est, d’ouest, crachent aux désespoirs leurs fumées
Noirs relents, opacif iant les cieux, rendant le clair obscur, ténébreuse instance
De nuages gras, éreintant l’atmosphère, désagréments d’usage, sans importance.
Circulez, ne reste à voir que les joies dansées sous scaphandres des employés.

Restent éparses, des taches d’arbres, vestiges de nature, lacs aux eaux bleutées.
Déjà on s’interroge sur ce qu’est ce liquide, sans doute un foutras chimique
Conçu en ces vertes éprouvettes au laboratoire des nouvelles extases cliniques
Puis stocké en ces réservoirs bordant ces larges voies routières vers aucun été.   

Ce qui subsiste du jeu, de l’innocence
Peut être incarcéré en première instance,
Ce qui demeure du bel esprit rebelle, de ses accords musicaux,
Tags et coloriages, dangereux témoignages aux pales des hélicos…
Jusqu’à la réappropriation par l’art, des friches et déchets autos, ou,
Grimpe le mauvais lierre des terres acides, végétal de la fin du bout.  

Un adolescent tente, le souffl  e  des cuivres, pour fendre le mensonge
Comme une ultime trompette sous ces murs de vices et d’oripeaux
Dont il a vieille mémoire déjà, au collège, bible non transmise, Jéricho.
La jeune certitude d’une révolte nécessaire pour cette vérité des songes.   

La nature se pare à l’extrême lors des compliments d’amours.
Ses oiseaux gonflés, colorés, dansent, offrent, vibrent le satin.
Un cormoran  englué du mazout outré d’un sarcophage marin
Vient, courroucé, mourir à cette porte, mystère des nouvelles Cours  

C’est ici le secret, de cette piètre, laborieuse et navrante histoire, narrée
Tout au long des toiles: qui sont-ils, ne partagent-ils l’élémentaire peur
Qui fait le pieux instinct de conservation ? Profit, pouvoir leur sont leurres,
Cruauté, barbarie, scélératesse ne sont que les armes de leur chantage exalté.

Troubadours Shakespearien  aux habits de velours bien faits
Des campagnes, sources claires, petits ruisseaux, rivières
Comme ces comptes d’enfants sages arrivant de Bavière
Où tout est confort riant, émerveillements, que l’âme sait.

L’effroi n’est jamais loin, fameux basculement de l’image.
Un matin de bateleurs, musiciens attentifs, jongleur grimé
Faisant voler les têtes de mort, exorcisant cette peur innée,
Tel ces mexicains aux pieds des clochers en loque, sans âge,

Grattant les  balades emplies d’antiques mélopées, des chants indiens
Parlant de la grande dame bleue  Pacca Mama, du goût des putains,
Grégaires complices, forêts offertes, fruits, délices, vices un matin
La guitare pleure tribus, lacs, poissons, la Terre, l’égarement chrétien.  

Ne cherchez pas celle-ci, bois et corde  sont du peintre le pinceau.
Ni les mexicains, probables voisins de ces campements immobiles,
Aux têtes magnifiques de respect et de sciences, mémoire utile
Au combien, que celle des indiens venus par Béring importer le beau.

Le tipi côtoie la cabane en bois, le télégraphe la fumée des foyers
Lente assimilation où les temps s’annulent, paix inique, suspendue
Au renoncement des luttes, vitale soumission aux chances de salut,
Perpétuation infime  d’une race fière, à l’ère des fontes des glaciers.

  

Il y a des musiciens, des jongleurs, des troubadours
Des enfants jouant dans des contes près de rivières
Des jeux, de l’art, des restes de vie sous des hélicoptères
Il y a ces hauts murs de labos et d’usines fabriquant le jour
Les poisons, l’énergie, les ersatz nécessaires à la nuit…
Oiseaux morts, mers salies poisons répandus, qui jouit ?

                                                        Philippe PUECH  Écrivain  Poète